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Costa Rica
Le président du Comité scientifique et technique du FFEM, Sébastien Treyer, également directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), revient sur les impacts de la crise COVID. Il tente d’en tirer des enseignements à la lumière des projets du FFEM, à la fois pour prévenir le risque de nouvelles pandémies, et pour accroître la résilience des populations et des territoires

Sebastien TreyerQuels sont les impacts de la crise COVID sur les projets soutenus par le FFEM ?

Sébastien Treyer : Certes, l’interruption de pans entiers de l’activité mondiale a réduit temporairement les émissions de gaz à effet de serre, les pollutions et les impacts sur les écosystèmes. Mais globalement, dans les territoires où intervient le FFEM, la crise a clairement fragilisé la dynamique de développement durable engagée.

D’abord, elle a induit des pressions sur les ressources naturelles et la biodiversité. Lors du confinement, les aires protégées ont été moins surveillées et les revenus des populations ont baissé. C’est le cas dans le Sahel sur le projet Ressource, ou en Ouganda sur le projet FoFauPopu. Une recrudescence du braconnage et d’une consommation de viande de brousse moins durable a été constatée. La limitation de la circulation a empêché la transhumance pastorale, comme au Sénégal, sur le projet Ega-Egga, conduisant à un surpâturage et dégradant les terres et les ressources naturelles fourragères.

On identifie aussi des freins financiers au déploiement des projets. Dans ce contexte d’incertitude, certains investisseurs reportent leur investissement. Dans de nombreux territoires, notamment ruraux, la protection de l’environnement va de pair avec une diversification de l’économie et des sources de revenus, misant par exemple sur l’écotourisme dans les aires protégées, dont l’avenir est très incertain. Enfin, des problèmes d’approvisionnement en matériel, mais aussi de débouchés (fermeture des marchés locaux et internationaux) retardent l’exécution des projets et font craindre une perte de revenus des populations.

Comment faire pour limiter ces effets ? Quels enseignements tirez-vous de la crise actuelle ?

D’abord, concernant la prévention du risque de nouvelles pandémies, on constate que la protection de la biodiversité réduit le risque sanitaire, même lorsque cette prévention n’est pas l’intention principale. En réduisant les contacts entre faune sauvage, bétail et populations, les systèmes d’aires protégées connectées et les corridors écologiques limitent l’émergence de ces maladies. C’est le cas des conservancies communautaires dans le Nord Kenya par exemple. Par ailleurs, la sensibilisation des populations à des pratiques agricoles, de pêche ou de cueillette durables, en assurant la sécurité alimentaire des populations, limitent le braconnage, la consommation de viande de brousse et d’autres détériorations des écosystèmes, comme le défrichage. Enfin, les approches territoriales concertées, notamment sur les territoires agricoles ou forestiers, permettent aussi de diminuer les échanges inter-espèces. Le projet sur les paysages forestiers du Nord Congo, cofinancé par le FFEM et l’AFD, soutient une gestion durable de ce type.

Autre grande question, pour augmenter la capacité des populations et des territoires à résister face à ce type de crise, le FFEM soutient depuis longtemps un développement ancré dans une logique de résilience et de diversification économique, qui a permis, dans certains cas, de mieux traverser la crise. La structuration de filières plus performantes sur le plan environnemental a parfois permis d’atteindre des marchés plus rémunérateurs et de limiter les pertes de revenus. Par exemple, la société Tolaro a développé au Bénin une filière de noix de cajou durables transformées. Malgré des difficultés de débouchés, celles-ci sont stockables, contrairement aux noix brutes qui risquent d’être perdues.

Enfin, l’intégration dans les espaces urbains de solutions fondées sur la nature peut améliorer la résilience des territoires, comme le montre l’exemple de Santa Fe, en Argentine. Grâce à des jardins urbains, les populations vulnérables font mieux face aux chocs économiques, qui ont souvent pour conséquence des pics des prix alimentaires.

Comment le FFEM peut-il s’adapter pour répondre aux mieux à ce type de crise à l’avenir ?

Le FFEM – sans être le seul bailleur dans cette situation – n’avait pas anticipé des impacts d’une telle ampleur. Cependant, en étant à l’écoute des bénéficiaires, il a pu s’adapter et faire preuve de souplesse. Certaines activités ont été réduites ou développées, leur périmètre géographique modifié, de nouvelles activités proposées, un financement complémentaire parfois octroyé.

Au-delà de cette nécessaire adaptation sur le terrain, le FFEM doit s’interroger sur les nouveaux enjeux d’un contexte mondial transformé par la crise. Depuis 25 ans, il s’attelle à prévenir certaines des causes identifiées de la pandémie, que ce soit par l’approche One Health, à travers des solutions fondées sur la nature, ou l’économie circulaire. Il peut déjà livrer des pistes pour une relance durable.

Mais la crise nous incite à rechercher un effet transformationnel toujours plus poussé. Cela passera par une collaboration renforcée avec les acteurs locaux – publics, privés, société civile et populations, et des efforts accrus pour leur montée en puissance. Nous pourrions aussi développer encore notre approche intégrée des sujets (climat, biodiversité, dégradation des terres, pollutions, etc.) et réaffirmer la prise en compte simultanée des Objectifs de développement durable (ODD) dans chaque projet. L’enjeu est d’atteindre une dimension systémique pour que cette approche infuse dans les sociétés, les modes de vie, les activités économiques, les politiques publiques. Les réponses des gouvernements pour sortir de la crise seront, à juste titre, centrées sur l’urgence de la relance économique et de l’emploi. Le FFEM pourra explorer des solutions qui permettent à la fois de relancer l’emploi et de protéger l’environnement, selon une logique du Build Back Better.