Stéphanie Bouziges-Eschmann interviewée par le FEM : « Ouvrir la voie à une relance durable »

publié le 19 février 2021
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Stéphanie Bouziges-Eschmann est Secrétaire générale du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) et représente la France en tant que membre suppléant du conseil du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Dans cet entretien, elle partage ses réflexions sur les liens entre la protection de la biodiversité et le changement climatique et revient sur les longues années d’expérience de la France en matière de promotion de solutions intégrées qui mettent l’accent à la fois sur la protection de l’environnement et le développement économique.

Cet article a été publié sur le site www.thegef.org

  • Quelles sont les questions environnementales les plus préoccupantes dans votre pays ?

La France est préoccupée par tous les aspects de la crise environnementale que le monde connaît actuellement, mais qui affectent surtout les pays en développement. La perte de biodiversité, le changement climatique, la dégradation des sols, l’état des eaux internationales et la pollution sont tous liés et sources de grandes préoccupations pour l’avenir de notre planète et de l’humanité. C’est dans cette optique que la France soutient le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et le FFEM afin d’assurer un développement durable dans les pays en développement. Cette année, nous avons porté une attention particulière à la protection de la biodiversité et son importance pour combattre le changement climatique. C’était l’un des thèmes du One Planet Summit que la France a accueilli en janvier. La France est également engagée dans la protection des forêts avec la Stratégie française de lutte contre la déforestation importée et l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales mise en place en juillet dernier avec le soutien du gouvernement français. Elle accueillera également le Congrès mondial de la nature de l’IUCN en septembre à Marseille.  

  • Comment le FFEM répond-il à ces enjeux ?

Depuis sa création, la mission du FFEM porte aussi bien sur la préservation de l’environnement que sur le développement et reste fortement axée sur l’innovation. Afin de pouvoir relever ces défis, le FFEM finance des petits projets pilotes innovants avec un focus particulier sur l’Afrique.

Toutefois, face à l’urgence environnementale mondiale, nous nous attachons au passage à grande échelle des solutions qui seraient applicables dans plusieurs régions du monde. Pour cela, nous devons rassembler toutes les données collectées sur des innovations éprouvées, afin d’identifier les bonnes pratiques et de tirer les enseignements des échecs. Cela demande également de les partager avec les autres bailleurs et nos autres partenaires, y compris le FEM, pour promouvoir l'expansion ou la reproductibilité. Le potentiel de passage à l’échelle de chacun de nos projets est pris en compte dès sa conception et reste au cœur de notre action pendant toute leur durée de vie. Nous sommes également engagés à réunir des données factuelles et crédibles sur les résultats de nos projets et à en communiquer l’impact de manière efficace et stratégique.

  • Quel est le projet soutenu par le FEM qui vous tient le plus à cœur ?

Le projet Avaclim, financé à la fois par le FEM et le FFEM, aide sept pays, le Burkina Faso, le Sénégal, le Maroc, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde, à utiliser l’agroécologie pour répondre aux effets du changement climatique dans les zones arides. Nous savons qu’une agriculture plus durable et écologique est une solution majeure pour l’adaptation au changement climatique, mais de nombreux pays dans le monde ne disposent que de peu de ressources pour l’agroécologie. Le projet Avaclim permet à ces pays de relever un certain nombre de défis environnementaux simultanément : l’adaptation au changement climatique, la dégradation des terres, la pollution par les pesticides et l’utilisation de produits chimiques, et la perte de biodiversité. Le projet se fonde sur de bonnes pratiques dans des pays qui ont déjà rencontré des difficultés similaires, ce qui lui permet de démontrer l’efficacité de l’agroécologie dans les zones particulièrement vulnérables. En tant que projet de type « recherche – action » fondé sur la science, il encourage le partage de connaissances et la sensibilisation, combinés à des actions de plaidoyer à l’intention des décideurs.

  • Quel impact a eu la COVID-19 sur votre travail ?  

Dans les régions du monde où le FFEM et le FEM sont actifs, nous avons constaté que la crise sanitaire et économique a freiné le développement durable. Elle a engendré de nouvelles pressions sur les ressources naturelles et la biodiversité. Durant le confinement, les zones protégées ont été moins bien surveillées et les revenus des populations ont chuté, entraînant une reprise du braconnage et une consommation de viande de brousse moins durable. La limitation de la circulation a gêné la migration pastorale dans certaines régions, avec pour résultat un surpâturage et une dégradation des terres.

Nous constatons également un ralentissement du déploiement des projets dû à des contraintes budgétaires. Face à une telle incertitude, certains investisseurs préfèrent conserver leur argent. La fourniture de matériel et la fermeture des marchés locaux et internationaux posent aussi des problèmes, ce qui empêche la réalisation des projets et agite le spectre d’une perte de revenus pour de nombreuses personnes.

Cependant, en écoutant les bénéficiaires, nous avons pu nous adapter. Certaines activités ont été réduites ou développées, leur calendrier revu et leur périmètre géographique modifié, de nouvelles activités ont été proposées, et dans certains cas, des subventions complémentaires ont été accordées. À cet égard, le FEM et le FFEM ont maintenu des relations étroites avec les agences de mise en œuvre et les bénéficiaires, et ont pu ainsi poursuivre leurs activités à distance, y compris des comités de pilotage et conseils virtuels afin de pouvoir affecter les financements en temps voulu.

  • Comment le monde peut-il mieux répondre à de telles crises à l’avenir ?

Nous devons nous poser la question des défis émergents, dans un monde transformé par la crise. Pendant 25 ans, le FFEM a travaillé avec le FEM pour prévenir certaines des causes identifiées de la pandémie, dans le cadre de la démarche One Health, de solutions fondées sur la nature ou de l’économie circulaire. Grâce à cette approche intégrée, nous avons déjà pu proposer certaines solutions pour une reprise durable. Mais la crise de la COVID-19 nous pousse à rechercher un effet transformationnel plus fort.

Pour cela, nous devons renforcer notre collaboration avec les acteurs locaux et nous efforcer de renforcer encore leurs moyens d’agir. Nous devons également continuer à développer notre approche intégrée des questions environnementales, du changement climatique à la biodiversité, en passant par la dégradation des terres, la pollution, tout en réaffirmant notre volonté d’atteindre les objectifs de développement durable à travers chaque projet. À l’avenir, nous devons continuer à rechercher la transformation de manière systématique, pour transformer profondément les sociétés, les modes de vie, les activités économiques et les politiques publiques. Les échanges qui démarrent sur la reconstitution du budget du FEM devront aussi porter sur ces aspects, afin de garantir que nous proposons des solutions pérennes pour reconstruire mieux et de manière plus durable.

  • Quels sont les changements environnementaux que vous espérez voir advenir avant votre retraite ?

Je rêve d’un nouveau monde d’ici 25 ans : un monde dans lequel les gouvernements, les entreprises et les populations prennent conscience de leur impact sur l’environnement et de la relation entre l’environnement et la santé. L’économie circulaire trouve toute sa place dans cette aspiration : on n’utilise plus de polluants, il n’y a plus de déchets mal recyclés et traités, on n’utilise plus de plastique inutilement. J'espère qu'un tiers de la planète et ses écosystèmes majeurs seront préservés, le reste de la planète étant habité de manière durable, notamment à travers l’aménagement des villes qui intègrera la nature, la transition énergétique s’appliquant dans tous les secteurs y compris dans la production d’électricité, le transport, la gestion des bâtiments et les industries. Les pratiques agroécologiques seront largement déployées, la déforestation aura cessée et la restauration des forêts sera déjà en cours ; les glaciers et la calotte glaciaire ne fondront plus, le permafrost sera stable et l’innovation scientifique aura permis un nettoyage des océans en profondeur. Les émissions de CO2 seront désormais sous contrôle. La perte de biodiversité et la hausse de température sur la Terre seront enfin maîtrisées.

Pour que ce rêve devienne réalité, nous devons prendre des mesures radicales dès maintenant, tant dans nos décisions que dans notre comportement, à tous les niveaux.