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© Céline Damery, Conservatoire du littoral 2019
Le FFEM a fait de la résilience des écosystèmes aquatiques et des littoraux l’un de ses axes prioritaires d’intervention. Au Sénégal, au Togo et au Bénin, il finance un projet qui met en œuvre des solutions douces pour lutter contre l’érosion côtière, piloté par le Centre de suivi écologique (CSE) de Dakar, avec l’appui technique de l’UICN. Le Conservatoire du littoral apporte son expertise au projet sur les enjeux de mise en œuvre de solutions douces et de reconstitution dunaire notamment. A travers cette interview croisée, focus sur le site-pilote de l’Aire Marine Protégée (AMP) de Saint-Louis au Sénégal.

Moussa et Céline Conservatoire du littoral 2019

 

 

 

 

 

 

Moussa Sall est coordonnateur de la Cellule régionale de la Mission d’Observation du littoral Ouest Africain (MOLOA), au Centre de suivi écologique à Dakar (Sénégal).
Céline Damery est chargée de mission Europe et International au Conservatoire du littoral.

 

Quelles sont les causes de l’érosion côtière?

Moussa Sall : L’érosion côtière est devenue un problème récurrent en Afrique de l’Ouest ces vingt dernières années, avec l’ensemble des conséquences néfastes qu’elle entraîne. La côte est un espace géographique très fragile : plus de 95% est constitué de vasières à mangroves et de sables, donc de roches meubles, qui résistent mal à la houle.
Le phénomène d’érosion se caractérise par une rupture de l’équilibre entre la partie marine et la partie terrestre de la côte, avec l’apparition d’un déficit de sédiments au niveau de la partie terrestre. Bien sûr, cette érosion est fortement accentuée par le changement climatique et par la multiplication des phénomènes extrêmes (tempêtes, cyclones). Mais le problème reste surtout la combinaison des facteurs. C'est lorsque les phénomènes naturels sont associés à des enjeux humains et économiques que le risque est élevé. La concentration de la population le long de la côte, la multiplication des infrastructures industrielles et touristiques, l’extension des ports et des villes, mais aussi la multiplication des barrages, qui restreignent l’apport en sédiments vers la côte sont autant de facteurs d’aggravation de l’érosion. L’aménagement du territoire est donc un enjeu majeur.  

Quels sont ses impacts ?

Moussa Sall : Les impacts liés à l’érosion côtière sont essentiellement d’ordre social et économique. Sur le plan social, les populations affectées se retrouvent en général dans une situation précaire ; elles peuvent par exemple perdre leur maison. Les pouvoirs publics se heurtent à d’importantes difficultés pour gérer ces impacts, en particulier dans les zones très peuplées. Sur le plan économique, les activités comme la pêche sont affectées. Et au Sénégal, la pêche représente le premier poste d’exportation, elle concerne environ 630 000 emplois. Le secteur du tourisme, essentiellement balnéaire, est lui aussi très affecté ; les hôtels situés sur la côte ont perdu l’essentiel de leurs plages.
L’érosion est aussi synonyme de perte de biodiversité, notamment dans les zones de mangroves, très riches en biodiversité et en ressources halieutiques. Sur nos côtes en Afrique de l’Ouest, certaines forêts de cocotiers ont été totalement perdues, avec les espèces qu’elles abritent.

Sur le terrain, comment répondez-vous à ces enjeux ?

Moussa Sall : Il s’agit de renforcer la résilience des populations, c’est-à-dire de rendre les communautés locales capables de faire face aux changements climatiques. Cela peut passer par la construction d’ouvrages de protection (en dur, ce qu’on appelle les « infrastructures grises »), mais aussi par des solutions dites « douces », en harmonie avec la nature. Le projet sur lequel nous travaillons avec le FFEM au Sénégal, au Togo et au Bénin privilégie ces solutions douces. Dans les trois pays, nous avons identifié des sites pilotes particulièrement exposés aux risques de submersion et d’érosion côtière, et les solutions préconisées varient en fonction des sites.

Par exemple, sur le site de la Langue de Barbarie dans l’Aire Marine Protégée de Saint-Louis, avec l’appui du Conservatoire du littoral et de l’association SAVe, nous avons eu recours à la technique des « typhavelles » pour favoriser la fixation du sable et permettre à l’AMP de reboiser les parties atteintes par l’érosion car fortement impactées par l’océan.

Céline Damery : Nous avons été sollicités par le FFEM pour nous associer au projet et accompagner l’AMP de Saint Louis afin de partager nos savoir-faire, nos connaissances acquises en termes de solutions douces. En France, le Conservatoire du littoral est propriétaire de plusieurs espaces naturels, où il met en œuvre depuis plusieurs années des démarches d’adaptation souple du trait de côte. Dans l’AMP de Saint-Louis, nous avons testé des dispositifs expérimentaux de « typhavelles », fabriquées à partir du roseau typha local, en s’inspirant des ganivelles utilisées en France (barrières en châtaignier captant le sable éolien pour reconstituer les dunes). Après un an d’accompagnement, les premiers résultats sont positifs. Grâce à une grande réactivité de l’AMP de Saint-Louis qui a procédé aux installations, on constate que les dunes se reconstituent petit à petit. C’est aujourd’hui un kilomètre de côtes qui est équipé par des ouvrages de type solutions fondées sur la nature.

Moussa Sall : Oui, cette technique donne de bons résultats. D’importantes quantités de sable ont été piégées, ce qui a permis de stopper le déversement des eaux marines vers le côté du fleuve. Au-delà de la reconstitution dunaire et du reboisement, nous travaillons également à la mise en place d’autres solutions douces comme par exemple l’élaboration d’un Plan local d’adaptation aux changements climatiques au niveau de la localité de Pilote Bar, située à quelques kilomètres au sud de la ville de Saint-Louis. Ce plan va s’appuyer sur les résultats d’études techniques qui permettront d’identifier les zones à risque, sur un horizon de 30 à 50 ans, en fonction du comportement de la houle et des variations des facteurs climatiques. Sur cette base, la population sera fortement sensibilisée et impliquée pour que ces zones soient réservées à des usages autres que l’habitat ou les activités économiques, pour le loisir par exemple, en prévision des risques futurs. A ce stade, nous avons déjà rencontré les populations et la collectivité locale concernées pour partager notre démarche. Elles se sont montrées très réceptives.

Céline Damery : Sur le terrain, la démarche de lutte contre l’érosion ne peut qu’être globale. Bien-sûr, nous apportons une expertise technique avec l’association SAVe : nous donnons des préconisations sur la fabrication (perméabilité, tissage avec des liens végétaux et non du plastique, etc), l’orientation, le dimensionnement. Mais au-delà de ces aspects techniques, nos conseils concernent aussi la gestion naturaliste du site, pour aider à sa revégétalisation, pour établir des protocoles de suivi de la biodiversité ou des paysages, ou encore aider l’AMP à accueillir des visiteurs. Nous accompagnons également l’encadrement des pratiques agricoles, pour qu’elles n’empiètent pas sur la zone protégée, pour qu’elles aient recours au fumier plutôt qu’aux engrais, pour que les déchets soient pris en charge sur place. C’est cette approche globale qui permet aux populations locales de devenir de véritables acteurs du territoire.

Comment assurez-vous le partage et la diffusion de cette expérience acquise et des solutions qui fonctionnent ?

Céline Damery : L’idée est d’accompagner l’équipe en charge de l’AMP pour qu’elle puisse se saisir des dispositifs de suivi et s’en charger seule à terme, lorsque le projet sera terminé. Les missions que nous organisons comportent donc ce volet de formation, pour que l’équipe sur place s’approprie la démarche et les outils. Une prochaine session de formation sur les enjeux de solutions douces et de suivi sera dispensée aux équipes de 6  AMP sénégalaises, qui pourront ainsi bénéficier de l’expérience de l’AMP de Saint-Louis, et plus particulièrement des enseignements tirés de ce projet.

Moussa Sall : Le potentiel de passage à l’échelle de ce projet est important. Ce qui est expérimenté dans les trois pays, qu’il s’agisse des solutions douces testées sur les sites-pilotes ou des thèses rédigées par des doctorants sur les risques côtiers, pourra être répliqué et réutilisé dans les autres pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), notamment dans le cadre de la Mission d’observation du littoral ouest africain (MOLOA) créée en 2011.

Le CSE va également s’appuyer sur deux institutions régionales, qui vont nous aider à répliquer les solutions qui fonctionnent. Il s’agit du Réseau des aires marines protégées en Afrique de l’Ouest (RAMPAO) et du Partenariat régional pour la conservation de la zone côtière et marine en Afrique de l’Ouest (PRCM). Le RAMPAO a déjà identifié au Bénin un site au niveau de l’embouchure du fleuve Mono, pouvant être érigé en AMP. Ce site accueillera des solutions fondées sur la nature grâce à l’implication de l’ONG Corde, un partenaire-clé du projet au niveau local. Le PRCM est aussi en partenariat avec nous, pour diffuser les résultats au cours de forums, de dimension internationale, qu’il organise régulièrement.

Enfin, les pays du projet WACA ResIP, financé par la Banque Mondiale et qui travaille en lien étroit avec le projet FFEM, pourraient profiter de ces expériences et capitaliser par exemple sur les premiers résultats obtenus avec les typhavelles.

Céline Damery : En effet, l’utilisation d’un matériau local, à bas coût, permet la réplicabilité. Nous avons pu adapter le concept de ganivelles en utilisant la végétation locale. Dans le cadre d’autres projets plus anciens menés par le Conservatoire, les ganivelles étaient devenues des « palmivelles » en Tunisie, construites à partir de palmiers. Au Sénégal, elles sont devenues des typhavelles. Le concept pourrait bien-sûr être réutilisé ailleurs en Afrique de l’Ouest à partir d’un autre type de végétation locale.