Dans le nord du Kenya, le bassin versant de la rivière Ewaso constitue un couloir migratoire pour de nombreuses espèces emblématiques telles que le rhinocéros noir, l’éléphant de savane, le zèbre de Grévy et l’antilope Hirola, toutes référencées par l’UICN dans sa liste rouge des espèces menacées. Bien que la création de parcs nationaux ait permis de préserver une partie de leur habitat essentiel, ces aires protégées restent fragiles et deviennent progressivement des îlots isolés dans un paysage fragmenté. De plus, la dégradation des terres de migration menace la survie des espèces sauvages, mais également les moyens de subsistance des communautés locales, exacerbant les conflits entre humains et faune, qui s’ajoutent aux conflits inter-communautaires existants.
Pour concilier la préservation de cette biodiversité unique et le développement économique, le Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) cofinance avec l’AFD le projet « Connectivité Nord » piloté par la Northern Rangelands Trust (NRT), l’une des principales institutions de conservation communautaire au Kenya.
L’objectif du projet est de restaurer la connectivité écologique entre, au Nord, le Parc national de Marsabit et le Parc national de Meru et les aires protégées du centre du pays. Il vise notamment à protéger les corridors historiques de migration et à restaurer les habitats dégradés en appuyant la création et le développement d’aires protégées communautaires, appelées conservancies, complémentaires aux aires protégées gérées par l’Etat comme les parcs nationaux.
Nicolas Rossin, responsable des projets biodiversité au FFEM, souligne l’originalité de cette démarche :
Le projet mené avec NRT est particulièrement intéressant puisqu’il ambitionne de rétablir et de préserver la connectivité écologique entre les parcs nationaux du nord, et donc leur viabilité, en s’appuyant sur des outils éprouvés d’autonomisation des communautés, de planification territoriale et de gouvernance concertée que sont les conservancies communautaires.
Une grande étape du projet a déjà été franchie grâce à la création de 4 nouvelles conservancies communautaires sur les principales routes de migration de la faune sauvage entre le Nord et le Centre du pays, tandis que 3 autres déjà existantes autour du Parc national de Marsabit ont été renforcées.
Tom Lalampaa, PDG de NRT atteste :
Au cours de l’année écoulée, nous avons observé le retour des éléphants dans des zones qu’ils avaient délaissées depuis des décennies, ce qui témoigne de leur sentiment de sécurité et de la protection offerte par la communauté. La population de rhinocéros noirs a presque doublé et le nombre de Hirola, une espèce en danger critique et peut-être la dernière au monde, est en hausse.
Au cœur de cette approche réside la reconnaissance du rôle et de la légitimité des communautés locales dans la gestion de leurs propres territoires et dans la planification de l’utilisation durable des ressources naturelles. Le modèle de développement communautaire développé par NRT prend en compte les besoins et les aspirations des habitants sans pour autant compromettre la conservation de la biodiversité exceptionnelle de ces espaces.
Frédérique Willard, Chef de projet de la division agriculture et biodiversité au sein de l’AFD, confirme les résultats obtenus par les conservancies réunies sous la bannière de NRT en termes de développement économique et de consolidation de la paix. En effet, le nord du Kenya est habité par de nombreuses communautés pastorales (Borana, Samburu, Gabra, Rendille, Turkana et autres) qui ont connu des conflits ethniques violents en raison de de la compétition pour les ressources en eau et en pâturage,
la création d’une conservancy contribue à la paix et au développement économique car elle donne le cadre et les outils aux communautés pour tisser un projet commun respectueux de l’environnent sur un territoire donné.
Cette innovation sociale et de gouvernance intègre une approche guidée par la préservation des écosystèmes critiques qui remédie à l’isolement des aires protégées et sécurise dans leur ensemble les territoires vitaux des espèces.
Testée déjà en Namibie, cette initiative vise à être répliquée notamment dans les régions frontalières et les pays où une grande partie de la faune sauvage se trouve en dehors des aires protégées. En franchissant ces frontières arbitraires, les animaux perdent la protection dont ils bénéficient à l’intérieur des réserves. L’enjeu à long terme est donc d’étendre cette approche pour assurer une protection continue des espèces de faune et de flore sauvages indépendamment des limites administratives.