Sylvie Gourlet-Fleury, chercheuse au Cirad et Jean-Louis Doucet, professeur à Agro-Bio Tech
Vous avez mis en place un réseau de collecte de données sur les forêts d’Afrique centrale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Sylvie Gourlet-Fleury : Les plans d’aménagement actuels sont basés sur des données acquises depuis 1982 dans le cadre du dispositif de recherche M’BaÏKI en République centrafricaine, l’un des plus anciens de la région. Ces données permettent d’évaluer la dynamique des forêts.
L’une des informations qui intéresse tout le monde, c’est ce qui se passe au-dessus du diamètre d’exploitation. Les compagnies forestières exploitent seulement certaines espèces d’arbres, et parmi elles, seulement les arbres dont le tronc dépasse un certain diamètre, c’est ce qu’on appelle le stock commercial. Ce qui nous intéresse dans ces projets, c’est de savoir comment ce stock se reconstitue au gré des exploitations successives.
Nous collectons des données sur plusieurs sites du Bassin du Congo, et le problème que l’on rencontre dans les parcelles étudiées, c’est la faible densité des espèces commerciales. Pour étudier suffisamment de pieds, il faudrait pouvoir travailler sur de plus grandes surfaces, mais ce type d’inventaire complet en parcelles est très coûteux. L’autre option est de réaliser une recherche en ciblant des espèces particulières à observer le long de sentiers. Dans le cadre du projet DynAfFor et P3FAC, nous avons décidé de combiner l’étude en parcelles et en sentiers pour concevoir de nouveaux dispositifs plus complets.
Jean-Louis Doucet : Nos dispositifs permettent d’étudier les dynamiques de la forêt, sa croissance, sa régénération et l’impact des exploitations sur la dynamique naturelle. Le travail mené en collaboration avec plusieurs entreprises forestières nous a permis de réaliser une première publication scientifique sur une synthèse des données de croissance des principales espèces commerciales. Nous avons alors constaté une forte variabilité entre les sites, mais aussi au sein d’un même site : les forêts d’Afrique centrale ne sont pas uniformes.
Vous avez ainsi pu identifier différents types de forêts. Quels sont vos principaux résultats ?
JLD : Ce travail d’identification des types forestiers a été rendu possible grâce à la collaboration avec le secteur privé, les sociétés forestières qui ont mis à disposition des données essentielles. Nous avons pu déterminer dix grands types forestiers, chacun ayant leur propre dynamique. Mais on observe souvent que plusieurs espèces commerciales se régénèrent lentement, ce qui peut compromettre une exploitation durable sur le long terme.
SGF : On essaye d’évaluer la résilience de ces écosystèmes aux changements planétaires futurs, et on a réussi à identifier des zones plus sensibles. Mais nos dispositifs sont encore limités, ils ne couvrent qu’une partie des 10 grands types forestiers que nous avons défini. Nous aurions besoin d’un beaucoup plus grand nombre de dispositifs pour prendre en compte cette variabilité
Quelles recommandations formuleriez-vous pour un aménagement forestier plus durable ?
JLD : Les plans d’aménagement doivent tenir compte de cette hétérogénéité des types de forêt. Il est nécessaire d’étendre le réseau de dispositifs de recherche à l’ensemble de ces types forestiers.
Par ailleurs, une de nos recommandations se concentre sur l’uniformisation au niveau régional des diamètres minimum d’exploitabilité (DME). Actuellement, les pays de la région ont leurs valeurs propres, mais elles ne se basent pas toujours sur les caractéristiques de l’écologie des espèces, ni sur leurs capacités de régénération.
Il faudrait aussi, à quelques exceptions près, uniformiser les rotations - le temps qui sépare deux passages en coupe - à 30 ans afin de permettre une meilleure reconstitution des stocks. Et en seconde rotation, il faudrait garantir la reconstitution des stocks à 100%, toutes espèces commerciales confondues, et un minimum de 50 % par espèce.
Par ailleurs, la lutte contre le braconnage et la chasse excessive est indispensable, dans la mesure où près de 80 % des espèces d’arbres ont besoin des animaux pour la dispersion des graines.
Enfin, pour pallier le manque de régénération de certaines espèces, des enrichissements sont nécessaires : par exemple un travail de sylviculture, la replantation d’espèces commerciales dans les trouées d’exploitation ou dans des zones de forêts dégradées.
FSG : Il faudrait installer des dispositifs de suivi de la dynamique forestière dans toutes les grandes concessions. Les concessionnaires gérant plus de 50 000 Ha devraient installer au minimum un sentier de collecte de données. Cela permettrait d’appréhender localement la variabilité du comportement des espèces.
Comment ces projets mobilisent-ils les acteurs autour de ces recommandations ?
SGF : Nous avons privilégié une collaboration avec le secteur privé pour l’installation des dispositifs, cela maximise les chances que certaines concessions continuent à suivre ces sites et les préservent.
JLD : Concernant la mise en œuvre des recommandations, on essaye de travailler avec les administrations nationales, au sein de conseils scientifiques, tout en travaillant en partenariat avec la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC), organe régional. On travaille aussi avec l’Association Technique Internationale des Bois Tropicaux (ATIBT), où nous sommes tous les deux membres du conseil scientifique. L’ATIBT fait partie du collectif DYNAFAC, qui regroupe tout un ensemble de structures investies dans les dispositifs de suivi des forêts d’Afrique centrale.
SGF : La réalité, aujourd’hui, c’est que les stocks de bois qui sont exploités au cours d’une rotation, seront amoindris à la prochaine. Sans changement, sans application des recommandations, ces stocks ne peuvent se renouveler correctement. Pour l’instant, nos échanges avec les pouvoirs publics sont encore limités, mais on espère mener un projet au Gabon qui impliquera davantage l’administration forestière sur ces réflexions.
JLD : La mise en œuvre de ces recommandations aura un impact économique pour les entreprises forestières ; il faut donc trouver des systèmes qui permettent de récompenser les acteurs de ce changement. Par exemple, en allégeant la taxation des entreprises qui jouent le jeu de la durabilité, car aujourd’hui celles-ci font face à une concurrence déloyale des marchés informels.