Le FFEM soutient depuis 2013 le programme « Modélisation et scénarios de la biodiversité » mis en oeuvre par la Fondation nationale pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Celui-ci cherche à mettre en évidence les principaux risques liés à la biodiversité afin d’encourager une meilleure préservation dans les pays du Sud, qui concentrent une grande partie de la biodiversité mondiale.
Cinq projets ont été sélectionnés afin d’étudier les réponses de la biodiversité aux changements globaux et locaux, dans des zones géographiques très différentes. Tous ces projets ont impliqué un consortium d’acteurs variés : membres de la communauté scientifique du Nord et du Sud, décideurs nationaux, habitants des territoires et parfois étudiants. Des partenariats durables ont pu être noués entre instituts de recherche afin de travailler sur des questions fondamentales pour le développement durable et la préservation pérenne des écosystèmes.
- Projet BIO-THAW : Modélisation de la Biodiversité dans les zones humides des Hautes Andes tropicales (Bolivie)
Le projet BIO-THAW s’est déroulé dans les zones humides des Hautes Andes tropicales boliviennes, à plus de 400m d’altitude. Cet écosystème fragile, entouré de glaciers, concentre une très grande diversité biologique. Les tourbières, caractéristiques de la région, sont des ressources précieuses : de nombreux d’agriculteurs en dépendent pour l’élevage de lamas et d’alpaguas. Cette région est directement affectée par le changement climatique, qui accélère la fonte des glaciers.
Ce projet, mené par l’institut de recherche pour le développement (IRD), s’est caractérisé par sa transdisciplinarité : des écologues et entomologistes ont étudié la biodiversité tandis que des anthropologues, sociologues et agronomes ont travaillé avec les éleveurs locaux. L’objectif était de comprendre, à partir de scénarios climatiques et socioéconomiques, quels changements les ressources en eau risquent de subir. Le lien entre ressources en eau et diversité biologique a également été étudié. Grâce au travail de terrain, des cartes de risques ont été réalisées pour mettre en valeur les tourbières à conserver en priorité pour la richesse de leur biodiversité, leur rôle essentiel pour les éleveurs et leur vulnérabilité face aux risques climatiques.
Ce projet a eu un fort écho dans la communauté scientifique et dans les médias. Un livre de synthèse et de nombreux articles ont été publiés dans des revues spécialisées. Plusieurs actions ont été mises en place pour sensibiliser le grand public à l’importance de préserver ce territoire. Par exemple, une application pour smartphone a été développée, ce qui a également permis d’encourager la recherche participative. Une exposition photos intitulée « Des oasis au sommet des Andes » a été présentée en Bolivie et en France, afin de présenter cet écosystème exceptionnel et méconnu. Enfin, deux films ont mentionné le projet : Le monde de Jamy et Planète glace.
- Projet BioSceneMada : Scénarios d'évolution de la biodiversité sous l'effet conjoint du changement climatique et de la déforestation (Madagascar)
Madagascar est un territoire d’une biodiversité exceptionnelle, autant au niveau de sa faune que de sa flore : sur plus de 12 000 espèces de plantes présentes, 99% sont endémiques. La disparition des forêts malgaches signifierait la perte d’un pan entier de la biodiversité mondiale. Le projet BioSceneMada, mis en œuvre par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), a pour objectif d’étudier les différents scénarios d’évolution de la biodiversité par rapport au changement climatique et à la déforestation.
En effet, le changement climatique affectera fortement la faune et la flore malgaches. Selon les conclusions du projet, Madagascar risque de subir une baisse générale des précipitations et une hausse de sa température globale, ce qui entraînera une augmentation du stress hydrique. La saisonnalité risque également d’augmenter, compromettant la survie d’espèces végétales peu habituées. Par exemple, sur les sept espèces de baobab présentes à Madagascar, trois sont menacées d’extinction à cause du changement climatique.
Le projet BioSceneMada a permis de ré-estimer les taux de déforestation entre 1953 et 2017, montrant une accélération depuis 2005. La cause principale de la déforestation est l’agriculture sur brûlis, principalement pour des cultures de rente (maïs et arachide). Des projections concernant la probabilité de déforestation ont été réalisées. Si aucune mesure n’est prise, la forêt tropicale malgache aura complètement disparue avant 2100. Ces conclusions sont alarmantes, et peuvent être généralisées à l’ensemble des pays de la zone tropicale. Des mesures doivent être prises afin de limiter la déforestation : encourager la reforestation, mettre en place des corridors écologiques, éviter les produits issus de la déforestation.
- Projet CAMMiSolE : Effets du changement global en Afrique de l’ouest et à Madagascar sur la diversité des microorganismes du sol et ses conséquences sur les services écosystémiques
Le projet CAMMiSolE, mené par l’IRD en collaboration avec plusieurs laboratoires, a eu comme objectif d’étudier les microorganismes du sol, afin d’aider les petits agriculteurs malgaches. Ces derniers travaillent un sol pauvre, peu résilient et nécessitant des longues mises en jachères. Les cultivateurs n’ont pas les moyens d’acheter des fertilisants chimiques, mais ils disposent de plusieurs types de matières organiques : fumiers, cendres et compost. Chacune de ces matières apporte des éléments spécifiques au sol. Elles peuvent avoir des effets synergiques ou délétères en fonction des cultures. Tester chacune des solutions demande beaucoup de temps aux agriculteurs, et comporte un risque vis-à-vis du rendement. Le fumier de bovin est donc massivement utilisé.
Au cours du projet, les différents sols de Madagascar et leurs microorganismes ont été analysés, ainsi que les interactions entre les différents intrants organiques et les cultures. Ces données ont été publiées dans des revues scientifiques et ont fait l’objet de deux thèses, dont l’une récompensée par le prix « Jeunes Chercheurs » de la FRB. A partir de ce travail, une interface digitale a été créée pour résumer les résultats du projet et modéliser les effets d’une stratégie agricole sur trois ans. Cet outil a été conçu en partenariat avec les agriculteurs locaux. Il pourra également servir à la recherche.
- Projet CoForSet : Mécanismes de compensation de la biodiversité dans le Bassin du Congo
Le projet CoForSet, coordonné par le Cirad, a eu comme objectif d’élaborer des scénarios modélisant un siècle de paysages forestiers dans le bassin du Congo. Les scénarios ont été développés à l’échelle régionale et concernent le Cameroun, le Gabon et la République Démocratique du Congo. Comme les autres projets de ce programme, il s’est caractérisé par une grande transdisciplinarité, mêlant des chercheurs de discipline très différentes et des acteurs institutionnels locaux, des membres des industries minières et forestières, et des habitants.
Des cartographies de la biodiversité ont été réalisées par les écologues. Leurs collègues des sciences humaines se sont intéressés aux acteurs présents sur le terrain. Un travail sur les normes, les règles, le droit et les institutions a également été réalisé. L’enjeu du projet était de lier ces trois approches afin de réaliser des projections réalistes pour le futur de cet écosystème forestier.
Afin d’impliquer les acteurs et d’imaginer les futurs possible, un jeu de rôles a été créé permettant de modéliser la situation et les contraintes du terrain. Cet outil innovant a permis de clarifier les différents intérêts des acteurs et ainsi de faciliter la prise de décision.
- Projet CERISE : Scénarios d’invasion de rongeurs au Sahel (Sénégal)
Le projet CERISE, mis en œuvre par l’IRD, s’est intéressé à deux espèces invasives de rongeurs au Sénégal : la souris domestique (Mus musculus), qui prolifère dans les villes, et la gerbille nigériane (Gerbillus nigeriae), qui se trouve surtout dans les champs et la savane. Les deux espèces se propagent notamment grâce au développement des transports. Elles sont classées parmi les 100 pires espèces invasives mondiales : elles menacent l’environnement et les prédateurs locaux, tout en consommant les stocks de nourritures humains.
Au cours du projet, des modèles d’expansion des deux rongeurs ont été réalisés et confirmés grâce à un travail de terrain, permettant de faire des prévisions quant à leur propagation future. Un modèle multi-agents des transports du Sénégal a notamment été réalisé, expliquant la répartition des souris domestiques. Une plateforme de mobilisation sur les souris et les gerbilles a été mise en place.
Les conclusions du projet ont été retransmises localement via divers médias : émissions de radios communautaires, diffusion d’affiches par les mairies, tenues d’ateliers dans des villages et petites villes, etc. Un film intitulé Des envahisseurs au Sahel a été réalisé. De cette manière, des mesures concrètes ont pu être prises pour diminuer la propagation des rongeurs envahissants, comme par exemple de meilleures protections pour le rangement des denrées alimentaires.
In fine, toutes ces démarches de recherche doivent nourrir les politiques publiques pour améliorer la préservation de la biodiversité. Le FFEM soutient cette démarche Science to policy. Chacun des projets a fait appel à de multiples acteurs : scientifiques, institutionnels et locaux, pour une science de la durabilité, en lien avec des problèmes concrets locaux et globaux, tels que le changement climatique. Ce programme de scénarios de modélisation de la biodiversité a réussi à impliquer les acteurs pour diffuser les bonnes pratiques.